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  • Photo du rédacteurMamzelle Cervelle

Se dévoiler sur Internet : entre liberté et normalisation de la déviance.

Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, nous partageons ce que l’on veut, quand on veut et avec le plus grand nombre. Alors que la première motivation derrière leur usage est liée à la facilitation et au maintien des relations sociales, est-ce que l’on a vraiment conscience de l’accès donné à nos informations personnelles? Il se trouve que cette sensation de liberté profite au cerveau qui rend nos expériences de partage satisfaisantes, mais qui a oublié de se méfier des risques qui existent à se livrer en ligne.



Pourquoi se dévoile-t-on facilement sur les réseaux ?


Que l’on soit narcissique ou non, des études portées sur le dévoilement de soi ont pu démontrer que partager à propos de son identité et de son expérience contribue au bien-être, et que cela était également associé à une meilleure satisfaction dans la vie. Le cerveau génère effectivement des expériences de plaisir lorsque nous partageons et lorsque l’on se sent soutenu par les autres. Par ailleurs, le partage des informations personnelles avec autrui est un facteur de renforcement des relations interpersonnelles, et se confier permet ainsi de se sentir plus proches des autres. Nous dévoiler nous fait donc beaucoup de bien.

Alors que cela vaut aussi bien hors ligne, qu’en ligne, d’autres facteurs viennent décupler notre propension à partager sur les réseaux ! En effet, alors que ces applications sont tournées vers le partage d’expériences et de marqueurs d’identité avec les contacts directs ou indirects, elles offrent des modes de communications de plus en plus riches. Le temps du dénigrement de la légitimité des relations en ligne se doit d’être révolu. Aujourd’hui, il se trouve que la variété des modes de communication rend les échanges de plus en plus riches et personnels. Malgré l’absence d’indices visuels, comme ceux apportés par le langage corporel par exemple, les émoticônes, les GIFs, like et autres fonctionnalités viennent renforcer les subtilités de communication. Par exemple, en partageant un GIF en quelques secondes, on peut faire une blague au second degré tout en y ajoutant une référence culturelle. Cet accès facilité à des formes d’humour n’est parfois pas aussi rapide et consensuel hors ligne.

Un autre facteur lié au partage d’informations sur soi en ligne vient de l’effet de désinhibition en ligne. Ce mécanisme décrit par Suler depuis 2004 permet de formaliser la manière dont la perception du contrôle de sa propre exposition, l’absence d’autorité, et la diminution de la pression sociale dans certains forums, amènent les utilisateurs à se sentir “en sécurité” lorsqu’ils s'expriment en ligne.

Ainsi, alors que le cerveau en profite, les réseaux sont propices à nous libérer.


Quel contrôle choisissons-nous d’exercer sur le partage de nos informations personnelles ?


La protection de nos données représente un grand intérêt auprès du public. Une étude révélait récemment que plus de la moitié des utilisateurs ne souhaitent pas utiliser une application à cause des questions liées à la sécurité des informations personnelles. Pourtant, une étude de cas sur Facebook de 2005 a pu montrer que nous serions beaucoup moins à profiter des fonctionnalités de protection de nos informations personnelles ou de nos posts. Selon ces travaux, nous serions 99% à être trouvable par un utilisateur qui n’est pas dans notre réseau de connaissances, 89% à partager nos vrais noms et prénoms, et 98,5% à partager notre date de naissance complète ! En gros, nous avons conscience que nous prenons un risque sur une question qui nous importe, mais nous le prenons malgré tout. Comment expliquer un tel paradoxe ?

Cette contradiction serait liée au biais cognitif que constituerait la normalisation de la déviance. Ce biais a été décrit à l’occasion du désastre du Challenger aux Etats-Unis suite à des risques pris sur le design de l’embarcation. Il consisterait à négliger un risque qui dépasse l’entendement car c’est plus confortable. Et l’on prendrait ce risque jusqu’à ce que l’absence de conséquence négative pour un individu ou même pour un groupe puisse nous empêcher de considérer le risque comme tel. On “normalise” donc un comportement qui serait donc estimé déviant au départ, mais qui devient donc “normal”. Dans un environnement saturé d’informations, prendre le temps d’aller dans les espaces de configuration de protection de données n’est plus une priorité. Idem lorsque l’on se rend sur un site marchand ou bien un site d’information, c’est plus simple de vite accepter les cookies ou de cocher rapidement les conditions d’utilisations quand on n’a prévu que quelques minutes pour effectuer une tâche. Après tout, quels sont les risques ?

Alors oui, on connait probablement tous quelqu’un qui s’est fait piraté son compte facebook ou sa boîte mail. Mais ce n’est peut-être pas encore assez courant pour que l’on puisse s’en soucier, et puis finalement ces personnes s’en sont sorties donc bon… En revanche, ce qui est peut-être moins connu c’est que des chercheurs de Cambridge ont pu montrer que rien qu’en utilisant les likes d’utilisateurs facebook, il était possible de construire un algorithme permettant de faire des inférences sur des informations très personnelles telles que le point de vue politique, l’orientation sexuelle, la religion, et même les traits de personnalité ou le QI ! Aussi, saviez-vous que 70% des ressources humaines font des recherches de leur candidats sur les réseaux sociaux ?


Que faire ?

Pour résumer, le cerveau nous fait apprécier le fait de nous dévoiler et les réseaux nous aident de plus en plus à le faire. Mais par défaut, les configurations des réseaux sont réglées pour nous faire partager le plus possible au plus grand nombre pour générer le plus d’activité possible. Nous pouvons prendre simplement quelques minutes pour chaque application pour vérifier nos réglages. On peut aussi s’assurer que si notre profil est celui avec lequel on souhaite être spontané comme pour aller crier son “engouement” contre un gouvernement ou même une équipe de sport, le tout avec un langage très fleuri, il s’agit bien d’un compte privé.





Références :

Duane, B., & Prager, K. (1995). Patterns and functions of self-disclosure during childhood and adolescence. In Disclosure Processes in Children and Adolescents. Cambridge University Press. https://doi.org/10.1017/CBO9780511527746.002

Gross, R., & Acquisti, A. (2005, November 7). Information Revelation and Privacy in Online Social Networks (The Facebook case). In Conference: Proceedings of the 2005 ACM Workshop on Privacy in the Electronic Society, WPES. Alexandria, VA, United States. https://doi.org/10.1145/1102199.1102214

Kosinski, M., Stillwell, D., & Grepel, T. (2013). Private traits and attributes are predictable from digital records of human behavior. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 110(15), 5802-5805. https://doi.org/10.1073/pnas.1218772110

Price MR, Williams TC. When Doing Wrong Feels So Right: Normalization of Deviance. J Patient Saf. 2018 Mar;14(1):1-2. doi:https://doi.org/10.1097/pts.0000000000000157

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