Mamzelle Cervelle
Internet et les enfants : l'importance de la pensée critique
Ce sont donc chez les jeunes adultes que l'on trouve la plus grosse proportion de personnes qui croient que la Terre est plate. Derrière cette statistique étonnante déjà évoquée dans l’article sur les Fake News, se trouve peut-être un décalage entre les compétences en pensée critique des plus jeunes et leur usage grandissant d’internet qui les ouvre à un monde d’informations à la fois fun, vivant, et qui paraît sans filtre. Et si derrière ces inquiétudes nous pouvions tous tirer profit d’une expérience collective pour développer et maintenir notre pensée critique ?
Alors que j'ai été invitée par Lisa Stott, spécialiste en Intelligence Emotionnelle et fondatrice de Sosomimi.ca, nous avons abordé ces questions la semaine dernière lors d'un Live Instagram, et voici quelques points dans lesquels s'ancrent mes propos.

Pourquoi internet peut parfois piéger notre pensée critique à tous
Internet est une opportunité extraordinaire de pouvoir accéder à la culture, aux divertissements, à de multiples services, de se connecter les uns aux autres et bien plus. Il a déjà été montré qu’internet était corrélé avec une meilleure qualité de vie à des endroits du monde où internet n’était pas encore aussi démocratisé que pour la plupart d’entre nous. Alors le lien de cause à effet serait très complexe à démontrer mais il pourrait sembler utopique d’imaginer notre vie sans internet aujourd’hui, malgré l’apparition du secteur “digital detox” qui propose des services tentants mais dont l'efficacité reste à démontrer.
Aussi, et c’est l’une des raisons d’être de ce blog, les biais cognitifs qui existent déjà hors ligne deviennent exacerbés et cumulés en ligne. Cela est dû à des facteurs spécifiques d’internet que l'on néglige, ou bien à des idées erronées que l’on se fait sur le monde en ligne par manque de connaissances. Par exemple, sur internet le flot d’information est énorme, rapide, et varié, et cela peut saturer notre charge cognitive. Cela nous rend bien plus vulnérables aux biais cognitifs et nous donne moins de temps pour traiter l’information avec profondeur, comme pour y associer des fonctions comme celle de la pensée critique. Par ailleurs certaines idées erronées quant à la représentation que l'on se fait d’internet semble relativement communes : on peut parfois avoir l’impression qu’un partage d’informations qui est éphémère, alors qu’il reste des traces, mais aussi l’impression que sur internet, c’est l’anonymat alors que ce n’est pas le cas… On peut donc facilement se tromper et se retrouver par exemple à partager des informations confidentielles ou sensibles malgré nos intentions.
Ainsi, les facteurs spécifiques d’internet ne permettent pas à notre cerveau de se retrouver en pleine capacité à cause du débit intense d’informations, et notre méconnaissance d’internet peut nous conférer une confiance basée sur des éléments qui peuvent être erronés. Notre pensée critique naturelle n’est donc pas favorisée dans la plupart de nos expériences en ligne.
Chez les jeunes, est-ce que c’est plus grave ?
Malheureusement, malgré une certaine panique morale que l’on peut sentir dans la presse et les médias en tous genres, les études en cyberpsychologie ont encore manqué de montrer qu’internet était un problème pour notre qualité de vie. En effet il y a encore un manque d’approches longitudinales (avec des cohortes suivies sur plusieurs années, et qui permettraient par exemple de suivre des effets sur des tranches d’âges plus précises que “des jeunes”) et il conviendrait mieux de dépasser l’identification de corrélation mais de mieux comprendre les éventuels liens de causalité et de leurs directions (qu’est-ce qui cause quoi ?). En revanche, lorsque l’on voit tous les sujets à valence négative qui apparaissent en tapant “effets internet” sur Google, il semble que les craintes font l’objet de beaucoup d’attention. Mais avant de crier au drame ou à la défaite, on peut admettre une chose : alors que la pensée critique peut se développer tout au long de notre vie, celle-ci est aussi renforcée par la maturation du cerveau, mais aussi par les connaissances acquises.
En effet, si on s’intéresse à la pensée critique, elle correspond à la prise de recul pour articuler des connaissances autour de facteurs d’évaluations ouverts. Donc elle demande un pas de côté, et donc un peu de temps. Penser de manière critique consiste aussi à manipuler des connaissances.
En effet, le cerveau se développe tout au long de notre vie mais la maturation du néocortex, cette grosse couche externe toute pliée du cerveau, et qui supporte les fonctions cognitives de très haut niveau comme la morale, l’éthique et qui est aussi cruciale pour le bon fonctionnement de notre pensée critique, ne se mature qu’après la puberté.
Ainsi, les plus jeunes peuvent être exposés aux “pièges cognitifs” tendus par la toile, avec moins de connaissances et des fonctions cognitives de pensée critiques encore en maturation. Donc sur internet, l'hypothèse d'une vulnérabilité plus forte de la pensée critique pour les plus jeunes peut avoir du sens.
Interdiction ou accompagnement
Dans ce contexte d’un potentiel décalage entre l’usage d’internet malgré un manque de préparation, je crois que nous pouvons accompagner les plus jeunes pour renforcer leur recours à la pensée critique. Cela peut commencer très tôt dans l’enfance avec la simple ouverture à la discussion en tant qu’exemple (entre adultes) aussi bien qu’en tant qu’invitation. Par exemple pour le choix des programmes d’un weekend ou des vacances, même s’il on prévoit de faire une activité donnée, rien n'empêche d’avoir une discussion ouverte avec les plus jeunes, dès qu’ils ont l’âge de parler, pour leur demander leur avis, et pourquoi ils ont cet avis, sur quels critères se basent il pour proposer cet avis. Ce réflexe est d’autant plus bienvenu si les adultes se montrent ouverts à des avis différents et prennent le temps de discuter entre eux également. En conférant un environnement où chacun peut se sentir en sécurité et légitime d’avoir son propre avis, on invite à la discussion, et donc à la réflexion, l’argumentation et l’éloquence. Tout autant d’opportunités de maintenir et de développer des fonctions cognitives dont la pensée critique, et à tout âge.
Les connaissances sont aussi importantes : avoir des bases sur ce qu’est une expérience quelle qu’elle soit, et donc aussi pour celle de la vie numérique, en évoquant les avantages comme les risques connus, permet à chacun de mieux se préparer. On passera 27 ans de notre vie en ligne ! Alors même si le monde digital évolue, on peut essayer de transmettre un minimum pour se préparer. Comprendre la variété y compris en qualité, des sources d’information disponibles, mais aussi comment fonctionne le métier des influenceurs et des influenceuses (modèle de rémunération), sont des bases tout à fait abordables avec un plus jeune avant même qu’il puisse avoir une présence sur les réseaux sociaux par exemple.
Le besoin d’expérimentation de l’identité étant l’un des bénéfices d’internet et qui contribue au développement cognitif des jeunes adultes, mais aussi le besoin d’acceptation sociale particulièrement présent lors de l’adolescence invitent tous deux à une sensibilisation sur le fonctionnement des comparaisons sociales pour inviter à la nuance quant à la comparaison de la qualité de vie exposée sur internet par rapport à sa propre qualité de vie.
Malheureusement, je crois que les interdictions pour les grands adolescents et jeunes adultes ne doivent être que très temporaires. Concrètement, interdire un usage ne permet pas de développer une maîtrise de l'usage, aussi bien dans sa fréquence que dans sa qualité. En revanche, il a été montré que des interdictions à des médias comme les jeux vidéo, pouvaient contribuer à des tensions supplémentaires dans la famille et éventuellement créer un besoin de refuge encore plus souligné pour s’y remettre. Par contre, peut-être s’intéresser à ce qu’un plus jeune peut ressentir en jouant et partager pourquoi pas ce hobby en tant que spectateur voire joueur, me semble une opportunité que j'ai déjà saisie en tant que mère :)
Conclusion
Alors que nous avons tous des biais sur internet et que nous devons nous efforcer de maintenir et développer notre pensée critique. Nous pouvons aussi saisir cette chance de nous ouvrir collectivement à des discussions argumentées et empathiques pour renforcer nos fonctions cognitives et la connexion que nous avons avec nos proches. Avec le temps d’un pas de côté, une curiosité sincère, et de l’empathie, tant de possibilités s’offrent à nous pour mieux appréhender cette vie en ligne qui devient la nôtre.